FICHE BAC MICROMEGAS

 

 

I) LA THEMATIQUE

 

Les différents thèmes rencontrés dans Micromégas sont au service du but didactique du conte.

 

1) LE MERVEILLEUX

 

Le cadre (cosmos), les héros (géants extra-terrestres), les moyens de locomotion, les heureux hasards, sont autant d'éléments spécifiques du conte . Mais, ce merveilleux n'invite pas vraiment au rêve tant il nous dépasse. Micromégas est beaucoup trop grand, vit beaucoup trop longtemps, est beaucoup trop savant et trop parfait pour que le lecteur puisse espérer l'atteindre ou du moins l'approcher. Le merveilleux dans le conte voltairien est un prétexte pour poser un regard critique sur la terre et ses occupants. Comme tout s'attire, Voltaire rêve d'une communication interplanétaire : le cosmopolitisme ferait de l'homme un citoyen de l'univers : cette conception ruine l'anthropomorphisme, trop souvent attesté par ceux qui comme ce "petit animalcule en bonnet carré" (= un professeur de Sorbonne) soutient aux deux voyageurs que "leurs personnes, leurs mondes, leurs soleils, leurs étoiles, tout [est] fait uniquement pour l'homme". La réaction hilarante de Micromégas et du Saturnien en dit long sur ce qu'il considère comme un non-sens.

 

2) LE VOYAGE

 

Le voyage est un thème récurrent dans les récits du XVIIIème siècle ( Les voyages de Gulliver de Jonathan Swift 1726 …). Les sept chapitres du conte nous de Voltaire nous invitent à suivre la chronologie du périple de Micromégas. L'originalité de Voltaire consiste à envoyer des extra-terrestres à la rencontre des terriens : ce pseudo regard extérieur permet de frapper davantage le lecteur.

 

Le voyage est avant tout initiatique. Micromégas se met à" voyager de planète en planète pour achever de se former l'esprit et le coeur". La connaissance, la découverte sont ses objectifs : "Je veux qu'on m'instruise" rappelle-t-il au Saturnien. Aussi Voltaire veut-il démontrer l'importance capitale du voyage dans la formation de l'individu, dans le développement de l'esprit critique et dans la prise de conscience du relativisme. Micromégas, qui n'en est pas à son premier voyage, fait part à son compagnon de ses découvertes : "J'ai un peu voyagé, j'ai vu des mortels fort au-dessous de nous ; j'en ai vu de fort supérieurs ; mais je n'en ai aucuns qui n'aient plus de désirs que de vrais besoins et plus de vrais besoins que de satisfaction. J'arriverai peut-être un jour au pays où il ne manque rien"

 

Les leçons de l'expérience de Micromégas sont de trois ordres :

- Il y a toujours quelque part plus grand ou plus petit que soi.

- L'homme n'est jamais satisfait de ce qu'il a.

- Le "meilleur de mondes" n'est pas de ce monde ( en témoigne la déconvenue du héros dans le dernier chapitre lorsqu'il découvre l'existence de la guerre sur la terre.)

 

3) LE RELATIVISME

 

 Le relativisme est inscrit dans le titre de l'œuvre : Micromégas et dés la première page, par la mise en place d'un jeu de comparaisons qui se poursuivra tout au long du conte. De fait, le comparatif de supériorité est un élèment constitutif de la mise en évidence de la différence :

- Différence sur le plan humain

Micromégas est plus grand que le Saturnien , tous les deux sont plus grands que les terriens mais plus petits que certains habitants d'autres planètes.

Si Micromégas a mille sens, peut-être y-en--a-t-il de plus parfaits.

Micromégas est plus sage et meilleur observateur que le Saturnien ; Les terriens sont plus orgueilleux que les extra-terrestres.

-  Différence sur le plan géographique

Sirius est plus étendue que Saturne qui l'est plus que Mars....

L'Italie est plus petite que la Turquie...

 

Cette insistance sur les différences a pour but de faire prendre conscience que le monde est diversifié et que la nature est variée. Aussi, ne faut-il pas juger de l'importance sur la grandeur apparente : il faut tenir compte des proportions : "Votre globe est petit, vos habitants le sont aussi" déclare Micromégas au Saturnien.

 

De plus, il n'y a pas de relation de cause à effet entre la grandeur physique et l’intelligence. Ainsi , les terriens qui sont "infiniment petits [ont] un orgueil presque infiniment grand." Ici, on peut dire que l'orgueil humain est inversement proportionnel à leur taille. Par ailleurs, surpris par la justesse et l'étendue de leurs connaissances, Micromégas s'écrie : "Je vois plus que jamais qu'il ne faut juger de rien sur sa grandeur apparente." et il imagine même que des êtres encore plus petits que les terriens puissent être plus intelligents que des géants extra-terrestres.

 

Enfin, il faut accepter que l'homme est limité dans le temps et dans l'espace : "Notre existence est un point, notre durée un instant, notre globe un atome ; nous sommes une goutte d'eau dans l'océan" aussi devons-nous nous situer à notre juste place. L'homme n'est ni petit, ni grand c'est ce qu'affirmait déjà Pascal ( fragment 230 des Pensées) : "...Qu'est-ce-que l'homme dans la nature ? Un néant à l'égard de l'infini, un tout à l'égard du néant, un milieu entre tout et rien."

 

=> Tout est relatif. Il faut donc se garder de juger par rapport à soi-même, il  faut faire preuve d'un esprit ouvert et critique pour apprécier les choses à leur juste valeur et pour pouvoir accéder à la connaissance.

 

4) LA CONNAISSANCE

 

On peut lire dans le conte de Voltaire la démarche à suivre pour accéder à la connaissance:

- D'abord, il faut voyager pour rencontrer d'autres lieux, d'autres gens.

- La curiosité et l'envie d'apprendre doivent toujours être en éveil.

- Il faut se garder de tout préjugé, ne pas juger par soi-même et surtout ne pas conclure trop vite sous peine d'être victime de jugements a priori

- Etre inventif peut s'avérer utile

- Accepter que ce n'est pas parce-qu'on ne voit pas que les choses n'existent pas ( nos sens sont limités et ne peuvent nous donner qu'une connaissance partielle du monde qui nous entoure.)

 

MAIS SURTOUT :

Regarder,Observer,Vérifier,Conclure, telles sont les étapes à suivre : c'est la mise en place d'une méthode empirique : fidèle disciple de LOCKE (s'oppose à celle de DESCARTES qui pensait que nos idées étaient innées), Voltaire réaffirme que les connaissances ne sont que le résultat de l'expérience. Ainsi, nous pourrons parvenir à un jugement a posteriori.

 

Voltaire, non content de dicter les principes d'une méthode d'apprentissage, en fait la démonstration dans son conte : après s'être trompé trois fois ( quant à l'absence des terriens sur le terre, quant à leur activité, quant à leur identité), reconnaît l'exactitude et le fondement de l'attitude de Micromégas :

"... je n'ai plus d'opinion, il faut tâcher d'examiner ces insectes, nous raisonnerons après."

 

5) LA SAGESSE

Incarnée essentiellement par Micromégas, la sagesse proposée par Voltaire est loin d'être "merveilleuse" et inaccessible à l'homme. Elle repose sur:

- L'absence de préjugés : Micromégas et le Saturnien ne s'arrêtent pas sur Mars parce-qu'ils pensent que sur une aussi petite planète, il ne doit rien y avoir.

- Ne pas céder à  la flatterie hypocrite : Micromégas ne veut pas qu'on lui plaise.

- Ne pas être présomptueux et admettre ses limites. Montaigne disait dans Les Essais : " Que sais-je ?", Voltaire, dans le Dictionnaire philosophique dit : "Que ne sais-je pas ?"

- Etre tolérant et accepter chacun dans sa différence : Micromégas déclare aux terriens : " Je ne méprise personne"

- Remercier et honorer Dieu pour tout ce qu'il a fait car Dieu est "un grand architecte". Micromégas ne craint pas  d'affirmer sa foi : " J'admire en tout sa sagesse ; je vois partout des différences mais aussi partout des proportions."

- Ne pas chercher à comprendre ce qui nous dépasse et ne pas affirmer ce qu'on ne sait pas.

 

Le livre blanc, ultime cadeau fait aux terriens, symbolise la sagesse : être sage consiste à accepter qu'on ne sait pas tout, qu'il reste beaucoup de choses à apprendre et que certaines connaissances ne sont pas accessible à l'homme : en toute chose, il faut rester modeste.

Le partisan de Locke, seul philosophe qui ait grâce aux yeux de Voltaire, rejoint Micromégas lorsqu'il affirme :

"Je remercie la puissance éternelle ; il ne m'appartient pas de la borner ; je n'affirme rien, je me contente de croire qu'il y a plus de choses possibles qu'on ne pense."

Cette réflexion, placée à la fin du conte, juste après les discussions métaphysiques oiseuses des autres philosophes, n'est-elle pas le preuve que la sagesse est dans l'ordre de l'humain ?

 

2) LES PROTAGONISTES

 

1) DESIGNATIONS DES PERSONNAGES

 

Le nombre des personnages est dérisoire et il est aisé d'opérer un classement :

- D'abord, nous avons le couple des extra-terrestres composé de Micromégas et du Saturnien.

- Puis, nous avons le groupe des terriens.

 

Seuls les deux premiers sont individualisés et identifiables. Les terriens quant à eux forment un groupe et même si l'on peut distinguer les scientifiques, d'une part, et les philosophes, d'autre part, il n'en demeure pas moins qu'ils ne sont évoqués que pour leur appartenance à la catégorie des terriens.

 

Seul le héros éponyme est prénommé mais Voltaire a peu souvent recours à son prénom pour le désigner. Les autres sont toujours désignés soit par des périphrases, soit par des métaphores, soit par des termes génériques. Aussi, à défaut de pouvoir faire l'étude de l'onomastique, l'étude du vocabulaire de substitution pour identifier les personnages est tout à fait éloquente quant aux intentions de Voltaire.

 

MICROMEGAS

 

Monsieur Micromégas

connote le respect

Son Excellence

connote le respect et l'importance

Un jeune homme de beaucoup d'esprit

connote l'intelligence et la sagesse

Notre philosophe de Sirius

sens laudatif

L'animal de Sirius

selon le regard des humains ( dénoncer leur présomption)

Le voyageur

insister sur l'esprit curieux

 

 

LE SATURNIEN

 

L'habitant de Saturne

évoque sa provenance

Le petit homme de Saturne

évoque sa taille

Le nain de Saturne

évoque sa très petite taille

Le secrétaire de l'académie de Saturne

évoque son identité professionnelle

Un homme de beaucoup d'esprit

évoque ses qualités intellectuelles

Un être pensant

évoque son identité "humaine" (les terriens n'ont pas le monopole de "l'humain")

Le philosophe de Saturne

sens laudatif

Le compagnon de Voyage

évoque l'esprit curieux ( et peut-être aussi connotation affective)

 

MICROMEGAS ET LE SATURNIEN

 

nos deux philosophes

sens laudatif

nos deux curieux

curiosité et ouverture d'esprit

les étrangers

introduit le regard critique( et soi-disant objectif)

les deux bonnes gens

sympathie et bon sens

 

LES TERRIENS

 

L'animalisation

La chosificaton

La petitesse

L'humanisation

l'animal

des objets si nouveaux

des atomes

un raisonneur

les insectes

des petites machines

des êtres imperceptibles

un savant

les mites

des substances méprisables

un misérable état voisin de l'anéantissement*

un cartésien

les insectes nuisibles

des atomes pensants

un leibnitzien

La mite philosophique

des atomes intelligents

un philosophe malebranchiste

une fourmilière d'assassins ridicules

un petit partisan de Locke(le seul qui échappe à la satire)

un petit animalcule

des assassins ridicules

 

Au regard de ces tableaux, on s'aperçoit que Voltaire traduit par les dénominations les différents thèmes de son conte :

- La sagesse de Micromégas et de son compagnon

- Le relativisme

- L'orgueil

- La satire

-la violence

 

Ces tableaux traduisent aussi les sympathies et les antipathies de Voltaire : Si Micromégas et son compagnon sont désignés par des termes élogieux, il n'en est de même pour les terriens qui ne sont désignés que par des termes à connotations négatives. Si Voltaire a recours à l'animalisation  ou à l'humanisation ( paradoxe seulement en apparence pour désigner les hommes), c'est pour dénoncer leur suffisance intellectuelle et mettre en relief leur petitesse tant physique que "morale". Même lorsqu'il évoque leur nanisme par rapport au gigantisme des 2 autres personnages il persifle.

 

2) MICROMEGAS : micro = IO puissance -6 / méga = IO puissance +6

 

PETIT et GRAND tel est ce personnage physiquement, moralement et intellectuellement (et tel devraient être les humains) : petit par rapport à ceux qui sont plus grands que lui et grand par rapport à ceux qui sont plus petits que lui.

Par son prénom, le héros est "l'incarnation merveilleuse" (conte oblige) du principe même de la relativité : en créant un prénom par la juxtaposition de deux préfixes antithétiques, Voltaire veut déjà nous prouver que le relativisme est accessible à l'homme s'il agit comme son personnage de fiction, à moins qu'il ne prétende que la sagesse de l'extra-terrestre ne soit pas encore accessible aux hommes.

 

 D'autre part, Micromégas n'est pas l'infiniment grand . Certes, "il a huit lieues de haut", c'est-à-dire qu'il mesure 32 kilomètres, il a 67o ans au début du conte et il est exclu de sa planète pour une durée de 800 ans, de plus il possède 1000 sens et son  espérance de vie est de 10 500 000 ans mais il précise à son compagnon qu'il a été " dans des pays où l'on vit mille fois plus que chez [lui]" et qu'il a déjà rencontré "des mortels forts au-dessous [d'eux]et [d'autres] forts supérieurs." Micromègas se présente donc comme un milieu entre "l'infiniment grand et l'infiniment petit" : la modération et la juste appréciation de sa situation dans l'univers en font déjà un personnage d'une sagesse exemplaire.

 

 Doué d'une intelligence exceptionnelle, il devina très tôt 50 propositions d'Euclide (Que la précocité intellectuelle de Pascal devient dérisoire !!). Scientifique hors pair, il étudie les insectes "qui se dérobent aux microscopes ordinaires." Il connaît les lois de la gravitation et sait les exploiter pour voyager de planète en planète. MAIS, nulle trace d'orgueil, au contraire, conscient de l'insuffisance de son savoir, il désire parfaire ses connaissances et il profite de sa disgrâce "pour achever de se former l'esprit et le cœur."

 

Il se garde de juger autrui par rapport à lui-même et sait reconnaître la juste valeur de chacun.

Ainsi, lorsqu'il rencontre le Saturnien, "il comprit qu'un être pensant peut ne pas être ridicule" même s'il est plus petit et moins intelligent que lui.

De même, il déclare à propos des terriens : Je vois plus que jamais qu'il ne faut juger de rien sur sa grandeur apparente" et il rend grâce à Dieu d'avoir "donné une intelligence à des substances qui paraissent si méprisables."

 

Tolérant, "il offre [sa] protection" aux terriens car "il ne méprise personne" contrairement aux habitants de sa planète qui ne "daigneraient pas [les] regarder".

 

Si les dogmes d'une religion ne font pas partie des croyances de Micromègas, il affirme sa foi en un Dieu tout puissant, sage et bon. Tel "les gens de bon sens", il remercie "l'auteur de la nature" d'avoir créé un univers si bien ordonné. Variété et uniformité des espèces, différences et proportions, font du monde un ensemble harmonieux : chacun a sa juste place et tous sont le reflet de "de la puissance et de l'adresse de l'Etre Eternel."

 

=> Micromégas est le porte parole de Voltaire

 

 Outre l'incarnation des idées cultes de Voltaire, Micromégas est un personnage doté de qualités nombreuses.

 

 C'est un excellent pédagogue. Guidé par son bon sens, son goût de l'observation, son esprit critique et éclairé, il apprend à son compagnon de voyage à se méfier de tout jugement hâtif et non fondé. Ainsi, lorsque le Saturnien conclut à l'absence de vie sur la terre parce-qu'il ne voit ni ne sent rien, Micromégas lui démontre que son erreur est générée par l'insuffisance de ses sens. De même, après avoir constaté la qualité des connaissances scientifiques des terriens il les interroge sur l'âme, il leur fait prendre conscience de la suffisance de leurs réponses en leur offrant un livre blanc.

 

 Excellent observateur et ingénieux, il transforme un diamant en microscope et une rognure d'ongle en porte-voix ce qui lui permet d'identifier les humains considérés, à première vue comme "des petites machines [et] des objets si nouveaux"

 

 Enfin, Micromégas est un personnage affectueux qui offre son amitié au Saturnien et sa protection aux terriens (ils sont si petits !!!)

 

3) LE SATURNIEN

 

"Secrétaire de l'académie de Saturne, homme de beaucoup d'esprit, qui n'avait à la vérité rien inventé mais qui rendait un fort bon compte des inventions des autres", bien plus petit, en tous points, (taille, espérance de vie, développement sensitif et intellectuel...) que Micromégas, marié mais quittant sa femme sans regret, tels sont les seuls renseignements que nous ayons sur le personnage : il est encore plus stylisé que son compagnon de Sirius. En fait il est un personnage prétexte : sa présence n'a raison d'être que pour donner le premier rôle à Micromégas : Il est le faire-valoir de Micromégas:

Grâce à lui, Micromégas peut partager ses connaissances.

Se plaignant de ses limites, Micromégas lui apprend la relativité de toute grandeur .

Paraphrasant dans un style fleuri les propos de Micromégas sur la variété de la nature, dans le seul but de lui plaire, il apprend que les comparaison ne sont que des approximations. (elles sont donc sources d'inexactitudes) la nature" est comme une galerie de peintures..." et Micromégas de répondre :" la nature est comme la nature. Pourquoi lui chercher des comparaisons ?"

Victime à répétition de jugements hâtifs et erronés, Micromégas peut mettre en valeur la justesse de ses observations et prouver que tout jugement a priori est mauvais.

"Il faut tâcher d'examiner ces insectes, nous raisonnerons après"

"C'est fort bien dit " reprit Micromégas"

Il se transforme sous l'influence de Micromégas dés lors reconnu bon pédagogue et accède au jugement a posteriori.

Témoin de la rencontre avec les terriens, il   accorde crédibilité à Micromégas.

Ayant réussi à développer, à force d'exemples et d'observations,   son esprit critique, il offre une vision optimiste de l'homme : l'homme peut changer s'il est bien guidé.

 

C'est uniquement dans sa relation avec Micromégas que le saturnien trouve tout son sens : nous sommes en présence d'une pseudo relation maître/élève.

 

Par ailleurs, le regard critique posé sur les terriens est renforcé du fait qu'il est double et unanime, en témoignela dernière page du conte :

"Nos deux voyageurs se laissèrent aller l'un sur l'autre en étouffant de ce rire inextinguible qui, selon Homère, est le partage des Dieux"

 

4) LES TERRIENS

L'attitude des terriens lors de la découverte des extra-terrestres évolue en deux temps.

 

De L'inconnu à l'identification

- D'abord, persuadés qu'ils sont victimes d'un ouragan, "ils se précipitent".

Puis ils sauvent ce qui peut être sauvé : les tonneaux de vin, les appareils scientifiques et les femmes lapones qui agrémentaient leur voyage . Le souci matérialiste prend le pas sur la peur.

- Lorsqu'ils entendent des voix "venues d'ailleurs",ils cèdent à la panique :

"l'aumônier du vaisseau récita les prières des exorcismes, les matelots jurèrent, et les philosophes firent un système."

Devant l'inconnu, leurs attitudes sont irrationnelles et dérisoires. Essayer de repousser le diable, ou se perdent dans des méandres de paroles, ces conduites sont ridicules et stériles puisque :" ils ne purent jamais deviner qui leur parlait"

 - Enfin, un géomètre, agit avec méthode et rigueur et parvient à force de mesures à identifier les deux géants.La méthode empirique, une fois de plus a fait ses preuves.

Dés lors une conversation scientifique intéressante s'engage entre les différents protagonistes.

 

De l'éloge au blâme

- Micromégas ne tarit pas d'éloges sur ces petits êtres "tout esprit", de plus en étonné par leurs connaissances et séduit par leur sagesse puisqu'ils condamnent les guerres et plus encore les souverains qui les déclarent dans le seul but de conquérir"quelque tas de boue".

- MAIS s'ils font partie "du petit nombre des sages", si Micromégas ne parvient pas à trouver les limites de leurs connaissances, ils n'en sont pas moins des philosophes bavards qui croient tout connaître de la métaphysique et, comble de l'outrecuidance, ils affirment pouvoir expliquer l'inexplicable.

Le débat sur sur l'âme, donne lieu à une cacophonie où chacun dit sa "vérité" et contredit celle de l'autre. Tous les philosophes sont convoqués, d'Aristote à Locke, en passant par Descartes, Malebranche et Leibnitz.

Micromégas se régale de cette logorrhée stérile et ridicule qui lui permet de trouver enfin le vrai visage de ces "atomes intelligents" et de constater que "les infiniment petits [ont]un orgueil infiniment grand"

 

5) LA SATIRE ET SES MOYENS

 

Si Voltaire propose une méthode pour accéder à la connaissance ; si Voltaire donne l'image d'une sagesse accessible à l'homme, c'est parce que, non seulement il observe, la société dans laquelle il vit et la juge, sans complaisance, mais aussi parce qu'il a foi en l'homme et qu'il le croit perfectible.

Aussi, la satire devient-elle une arme pour dénoncer et aussi pour interpeller. Dans Micromégas, on retrouve les cibles favorites de Voltaire : l'église, le mal, la guerre, l'intolérance, l'orgueil et la présomption, la métaphysique

 

1) L'OBJET DE LA SATIRE

 

- LA SATIRE DE L'EGLISE

 

La référence au collège des jésuites et au muphti de Sirius met en évidence la permanence de l'intolérance religieuse partout dans le monde. Sur Jupiter, la censure des inquisiteurs interdit la publication des découvertes des deux voyageurs ( on pense bien-sûr aux difficultés de Voltaire et de Montesquieu pour faire publier leurs œuvres)

 La justice, qui relève du pouvoir ecclésiastique, est arbitraire et abusive : elle taxe d'hérésie un ouvrage "scientifique" sur la différence des puces et des colimaçons et le fait condamner par "des jurisconsultes qui ne l'avaient pas lu"

 Sur terre, l'église cautionne la guerre en acceptant de faire célébrer des messe solennelles pour "remercier Dieu [du] massacre d'un million d'hommes."

 

- LA SATIRE DE L'ATTITUDE DES TERRIENS

 

 Le conte s'ouvre et se clôt sur la condamnation de l'orgueil humain (le défaut par excellence pour Voltaire). L'homme croit tout connaître et affirme sans preuves. Derham se vante d'avoir découvert de nouvelles étoiles mais Micromégas, qui était sur place, ne les a jamais vues. Les philosophes prétendent connaître la matière de l'âme.

Voltaire se moque de leur anthropocentrisme affiché, sans aucune modestie, par le partisan de Saint Thomas : " tout [est] fait uniquement pour l'homme." et de leur étroitesse d'esprit qui ne concevant "rien au-delà de [leurs] usages" limite le champ possible de leurs connaissances et les tient éloigner du relativisme.

La satire de la métaphysique est de loin la plus acerbe : Voltaire nous offre le catalogue des métaphysiciens condamnables pour leur suffisance et leurs insuffisances : le déterminisme de Malebranche, la Providence et le meilleur des mondes de Leibnitz, la théorie des animaux machines et la conception des idées innées de Descartes, l'anthropomorphisme de St Thomas,  sont autant de philosophies contradictoires qui ne servent qu'à alimenter de faux débats. Leurs débats ne sont que logorrhées cacophoniques stériles et ridicules.

La soif du pouvoir, de la domination et de la conquête engendre des guerres meurtrières et, pour la première fois dans le conte, Micromégas ne contrôle pas sa colère et s'écrie : "Ah ! malheureux !... Peut-on concevoir cet excès de rage forcenée ! il me prend envie de faire trois pas et d'écraser de trois coups de pied toute cette fourmilière d'assassins."

 

2) LES MOYENS DE LA SATIRE

 

- LA VARIETE DES TONS

 

 Le comique , loin d'atténuer les intentions satiriques de l'auteur, permet de dire, sur le mode plaisant, des vérités déplaisantes.

Pour se moquer du chagrin affecté de la femme du Saturnien, le narrateur souligne la contradiction de ses attitudes : "après s'être pâmée, elle alla se consoler avec un petit maître de son pays."

La dérision à l'égard des terriens s'exprime par "la chute du vaisseau dans la poche de la culotte de Micromégas."

Certaines périphrases pour désigner les humains prêtent à rire : "un petit animalcule en bonnet carré", désigne un professeur de Sorbone ; les fous "couverts de chapeaux" font la guerre à ceux "couverts de turbans"

Pour souligner la différence du rythme de la marche de nos deux voyageurs, le narrateur a recours à une comparaison plaisante : "Figurez-vous un petit chien de manchon qui suivrait un capitaine des gardes du roi de Prusse."

 

 L'humour : la rapidité de déplacement de Micromégas et de son compagnon tient au fait que : "on va bien plus à son aise quand on tourne sur un axe que quand on marche sur ses pieds."

La remise en cause de l'objectivité des historiens et de l'exactitude des faits rapportés est habilement suggérée  : " je vais raconter comme la chose se passa, sans rien y mettre du mien :ce qui n'est pas un petit effort pour un historien."

Micromégas insiste sur l'absurdité des propos du cartésien : "Ce n'était donc pas la peine [...] que ton âme fût si savante dans le ventre de ta mère, pour être si ignorante quand tu aurais de la barbe au menton."

 

 L'ironie : Au Saturnien qui refusant d'admettre que la terre soit habitée parce que tout semblait chaotique, Micromégas répond : " ce ne sont peut-être pas non plus des gens de bon sens qui l'habite."

 

- LA VARIETE DES MOYENS

 

L'antiphrase : Micromégas s'adresse à "un autre sage", il rencontre "quelques algébristes gens toujours utiles au public.".

La litote  : "...ce qui n'est pas une mince affaire pour un historien."

L'euphémisme : Le narrateur désigne par "quelque affaire" le procès intenté à Micromégas et qui se solda par 800 ans d'exclusion.

Micromégas est "un peu fâché dans le cœur" de constater l'immensité de l'orgueil des terriens.

L'accumulation et la gradation : le livre de Micromégas comporte des "propositions suspectes, malsonnantes, téméraires, hérétiques, sentant l'hérésie."

Les terriens sont "un assemblage de fous, de méchants de malheureux."

Les périphrases et les métaphores périphrastiques : la terre est une "petite fourmilière", "un petit tas de boue", "une taupinière"; la mer est"une mare presque imperceptible" et l'océan "un autre petit étang".

Les terriens sont des mites", des insectes invisibles", "des objets si nouveaux" ; la contingence du vocabulaire animal et du vocabulaire humain est encore plus ironique :  "la mite philosophique", une fourmilière d'assassins ridicules", "le petit animalcule en bonnet carré."

L'absurde : Invité à traduire la citation d'Artistote, le vieux péripatéticien reconnaît ne pas comprendre le grec et ajoute : "Il faut bien citer ce qu'on ne comprend pas du tout dans la langue qu'on entend le moins."

Le partisan de Descartes affirme que "l'âme est un esprit pur qui a reçu dans le ventre de sa mère toutes les idées métaphysiques et qui, en sortant de là, est obligée d'aller à l'école et d'apprendre ce qu'elle a si bien su et qu'elle ne saura plus."( ignorance post-utérine quand tu nous tiens !!!)

Les guerres n'ont pour objet qu'"un fétu [d'un] tas de boue", que personne ne connaît et les soldats qui "s'égorgent mutuellement n'[ont] jamais vu l'animal pour lequel ils s'égorgent."

 

 => Oserait-on prétendre maintenant que Voltaire a écrit ce conte pour faire rêver le lecteur de son siècle et pour le divertir des tracas quotidiens ? Le combat de Voltaire contre l'oppression, quelle qu'elle soit, contre la guerre ( le mal par excellence selon lui), contre l'intolérance, trouve sa plus éloquente expression dans son écriture, arme redoutable qui lui valut plus d'ennemis que d'amis.

 

6) LE CONTE PHILOSOPHIQUE

 

Voltaire écrivit ses contes tardivement. Ce sont des œuvres tardives qui sont le fruit d'une longue expérience et d'une profonde réflexion sur son temps et sur la nature humaine.

Si Voltaire a choisi ce genre, encore considéré comme mineur au XVIIIème siècle, pour livrer au public ses observations et ses commentaires sur la société de son époque, c'est qu'il lui permettait, d'une part, de satisfaire le goût d'un public friand d' œuvres "merveilleuses" et, d'autre part, de se protéger contre une censure intransigeante.

De plus, Voltaire va rénover le genre du conte en lui conférant une nouvelle dimension : celle du conte philosophique.

 

MICROMEGAS, CONTE TRADITIONNEL

 

Conformément à la définition du genre, c'est un récit court qui présente sur le mode plaisant des aventures imaginaires.

Le dépaysement est immédiat et total dans Micromégas : les deux héros sont des géants venus de planètes que l'on croyait inhabitées.Leur gigantisme est tel que toute comparaison avec l'espèce humaine s'avère inutile.

Dés l'incipit, nous entrons dans un monde merveilleux : le Sirien " va de globe en globe" à l'aide d'un rayon de soleil ou d'une comète.Pour débarquer sur la terre," ils passèrent sur la queue de la comète, et, trouvant une aurore boréale toute prête, ils se mirent dedans...". Arrivés sur terre, les deux compagnons " mangèrent à leur déjeuner deux montagnes". D'un diamant ils font un microscope et d'une rognure d'ongle un porte-voix.

Les événements s'enchaînent comme dans un rêve, rien ne les arrête : les larmes de la femme du Saturnien ne retardent pas leur départ . Le bannissement de Micomégas, loin d'être une souffrance est l'occasion de faire un voyage inter-planétaire.

Des hasard heureux viennent aider nos personnages : c'est parce-que Micromégas a cassé son collier de diamants qu'il s'est aperçu que de par leurs tailles ils pouvaient jouer le rôle de microscopes. C'est parce-qu'ils avaient regretté de ne pas s'être arrêtés sur Mars qu'ils ont débarqué sur la terre et comme par hasard au lieu même où se trouvait une expédition de savants.

Voltaire satisfait donc à la première règle du conte qui est de plaire en faisant appel à l'imagination du lecteur pour le faire rêver.

 

Le conte est aussi un récit qui a un but didactique, voire édifiant. Le plus souvent le conte propose une morale "du bon sens" et Micromégas n'échappe pas à cette tradition.

Micromégas tout au long de leur voyage guide le Saturnien dans sa réflexion et lui apprend à ne pas juger trop vite car les apparences sont trompeuses et les sens peu fiables : " Vous ne voyez pas certaines étoiles ... que j'aperçois très distinctement ;  concluez-vous de là que ces étoiles n'existent pas ?"

Les leçons de Micomégas seront bien reçues puisque le Saturnien est obligé de constater : "Je n'ose plus ni croire ni nier... je n'ai plus d'opinion. Il faut tâcher d'examiner ces insectes, nous raisonnerons après." Tel est le premier enseignement de ce conte. Le deuxième s'adresse directement aux humains : avant de quitter la terre, Micromégas offre aux terriens un livre blanc, symbole de la prétention et de la vanité humaine : il faut se garder de croire que l'on sait tout car tout reste à apprendre.

 

Enfin, comme dans les contes traditionnels les références de temps sont très anecdotiques et aléatoires : IL ETAIT UNE FOIS( remplacé dans le texte par :" dans une de ces planètes... il y avait un jeune homme...") suffit à situer l'époque et les personnages sont très stylisés et ne souffrent pas des contingences de la réalité, contrairement à ceux qui peuplent les romans. Micromégas est un géant savant, les terriens sont des petits hommes fort ignorants et fort suffisants ; Ils ne font pas l'objet de portraits physiques, seuls les traits dominants de leurs caractères importent.

 

MICROMEGAS, CONTE PHILOSOPHIQUE

 

Le conte sert en fait de prétexte à Voltaire pour rendre compte de son regard sur les hommes. En choisissant des êtres imaginaires venus d'ailleurs, il feint de porter un regard objectif sur les hommes ( tout comme Montesquieu dans Les lettres persanes) pour mieux dénoncer ce qu'il  condamne.

En fait, Voltaire invite le lecteur à prendre conscience de l'imperfection humaine et de l'omniprésence du mal sur la terre. Le conte devient un moyen plaisant pour faire réfléchir sur la place de l'homme dans l'univers.

Si Micromégas espère un jour trouver le pays "où il ne manque rien", s'il croit avoir trouvé sur la terre le vrai bonheur, il est contraint de constater, non sans amertume, que le mal est présent partout sous de multiples formes : la guerre, l'intolérance, l'injustice, la vanité, l'orgueil ( de croire que l'homme est le centre de l'univers). Désenchantement et déception caractérisent le bilan pessimiste de la fin du conte et "le rire inextinguible" qui étouffe les deux voyageurs traduit avec éloquence le ridicule de ces petits hommes qui croient tout savoir.

 

 

 

Pour opérer le passage du conte plaisant au conte sérieux, Voltaire exécute un va-et-vient entre l'imaginaire, le merveilleux et le réel.

 

A la fin du chapitre III, une date précise s'impose : le5/07/1737 et nous introduit dans la réalité du XVIIIème siècle.

Le collège fréquenté par Micromégas sur Sirius est un collège de Jésuites intolérants et le "muphti" de son pays trouve dans son ouvrage sur"la forme substantielle des puces [comparée à celle] des colimaçons des propositions suspectes......hérétiques, sentant l'hérésie" et il réussit à mettre les femmes de son côté. Que tout ceci ressemble fort à l'attitude des jésuites à l'égard des jansénistes... !!!

Par hasard, Micromégas et son compagnon rencontrent les vrais explorateurs du cercle polaire et de vrais philosophes sont convoqués : Leibnitz, Malebranche, Descartes, Locke et s'entretiennent de métaphysique dans une cacophonie infernale.

 

 La grande originalité du conte voltairien est de mettre en place UN NARRATEUR OMNIPRESENT et OMNISCIENT qui pervertit le principe même de l'écriture du conte. Dés l'incipit, il se présente comme un témoin "réel" qui a eu le privilège de rencontrer Micromégas : le récit des aventures de Micromégas relève donc du témoignage vécu : le conte n'est plus du domaine de l'imaginaire mais de celui la vérité.

Le narrateur introduit les chapitres et instaure alors une cohérence :

Le chapitre I se conclut sur l'introduction du chapitre II : "je rapporterai ici, pour la satisfaction des lecteurs, une conversation singulière que Micromégas eut un jour avec le secrétaire de Saturne."

La même technique relie le chapitre IV au chapitre V : "Je vais raconter ingénument comme la chose se passa..."

 Il aide le lecteur dans sa représentation du gigantisme  en traduisant les données chiffrées : les Saturniens vivent en moyenne "cinq cents grandes révolutions de soleil.( Cela revient à quinze mille ans ou environ, à compter à notre manière)

Tantôt, au contraire, il "embrouille" un peu plus le lecteur, en lui donnant de fausses précisions : ainsi à propos de la taille de Micromégas : "J'entends par huit lieues, vingt-quatre mille pas géométriques de cinq cents pieds chacun."( à vos calculettes !!!!)

 Il porte des jugements de valeurs : il met en doute les découvertes de Derham puisque Micromégas "était sur les lieux, c'est un bon observateur" et jamais il ne vit les étoiles que le vicaire avait aperçues au bout de sa lunette.

 Omniscient, Il connaît les secrets découverts sur Jupiter par les deux voyageurs et il rappelle les vrais événements historiques concernant l'expédition au cercle polaire, contrairement aux journaux de l'époque.

 Il s'adresse directement au lecteur à plusieurs reprises et Micromégas et le Saturnien deviennent NOS compagnons.( habile manière de mettre le lecteur de son côté.)

Enfin, il se livre à des digressions pour commenter certains événements ( le problème de le censure sur Jupiter) ou pour donner son avis (sur la petitesse de l'homme, par exemple.) A noter que ces digressions sont "conscientes", en témoigne cette remarque du chapitre III : "Mais revenons à nos voyageurs..."

 

Tous ces éléments pervertissent le conte merveilleux et sont au service du but premier de Voltaire, à savoir la satire : le conte devient alors un cadre idéal pour oser dire la vérité, c'est en fait une arme oratoire supplémentaire pour Voltaire.

De fait les institutions religieuses et judiciaires, les courants de pensées, les raisonnements, la métaphysique, les défauts humains... sont les cibles de la verve satirique voltairienne.

 

 

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